Quel refuge pour l’humanité ?
Par Mariève Mauger-Lavigne
Comment cette question est-elle née? Pourquoi l’avons-nous choisi? Qu’évoquait-elle pour nous a priori? Que pourrait-elle évoquer?
Cette question est née dans la suite de la précédente (À quoi l’amour engage-t-il?), à travers des discussions sur la pensée de Butler qui concernait la vulnérabilité, le deuil, la précarité, le soin et, ultimement, l’amour.
Avec Butler nous nous demandions ce qui fait une vie et ce qui n’en fait pas une. Nous cherchions à comprendre : quelles sont les vies qui comptent ? Quelles sont les vies qu’on pleure collectivement ? Pour lesquelles aménage-t-on des espaces de deuils ? Quels sont les critères d’une vie vivable ?
Et à l’inverse, vous l’aurez peut-être anticipé : quelles sont les vies qu’on ne pleure pas, celles dont la souffrance ne nous importe pas, quels sont les morts qu’on ne compte pas et à quoi ressemble une vie invivable.
La question est aussi née avec la fermeture du chemin Roxham, les migrants qui décèdent dans la Méditerranée – et pas que – pratiquement chaque jour, les riches qui implosent dans un sous-marin, des œuvres comme les Nageuses, et évidemment, la crise climatique.
À travers tous ces constats relativement lourds, et plusieurs discussions de corridor, la question Quel refuge pour l’humanité? est apparue – dans l’esprit de ma collègue Sophie.
Et nous l’avons choisi pour plusieurs raisons.
D’abord, parce que nous avions envie de réfléchir autant à la démocratie, qu’aux frontières, qu’à l’intelligence artificielle qu’au transhumanisme. Il nous a semblé que cette question englobait tous ces aspects et qu’elle pouvait se répondre à travers les trois cours de philosophie. À ce sujet, on vous renvoie également au mot de notre parrain d’honneur sur notre site web.
Ensuite, parce que bien qu’elle s’appuie sur de lourds constats à propos de notre monde, la question n’implique pas nécessairement un scénario pessimiste. Elle peut sembler présupposer qu’il faudra, ou qu’il faut peut-être déjà, se cacher et se mettre à l’abri. Mais le refuge est-il nécessairement un « abri », réel ou imaginaire? Elle demande aussi certes d’identifier une ou des menaces actuelles ou potentielles. Mais le spectre des réponses qu’on peut offrir à celles-ci proportionnellement vaste!
Et c’est justement ce qui nous a décidés à choisir cette question : elle demande un effort d’imagination, de projection, utopique ou dystopique.
L’an dernier on s’est demandé.es quel monde avons-nous envie d’aimer ? Aujourd’hui on se demande quel monde avons-nous envie d’habiter, autant au plan symbolique que matériel.
Quand tout semble s’écrouler, quand tout semble tomber en ruine, se dérégler, comment peut-on envisager d’autres manières d’habiter ?
Qu’avons-nous envie (ou non) de préserver ? de déconstruire ? de reconstruire ?
Nos « ruines » peuvent-elles être transformées, réaménagées ?
Que signifierait habiter un monde, un refuge hospitalier ?
Quelles en seraient les conditions?
Et si l’enjeu des réfugiés, des migrants, des sans-papiers et des sans-abris est une porte d’entrée, c’est aussi parce que la question interroge sur notre capacité à faire communauté, à vivre ensemble, avec l’Autre.
Et si la crise écologique traverse cette question, c’est parce qu’elle peut aussi impliquer de réfléchir à l’agir humain ? Qu’est-ce que créer un monde humain ? Qu’est-ce que ça signifie être humain ?
Où allons-nous tracer les frontières (poreuses) de la vie, de la survie, du vivable de l’invivable, de l’humain et de l’inhumain?
Finalement, puisque cette question ne saurait que concerner l’individu qui y réfléchit, puisqu’on ne vit jamais seul, on vous propose, avant de vous lancer dans l’écriture, de vous y intéresser en petite communauté et on espère que vous allez ensuite vous laisser aller à imaginer… toute sorte de mondes.